13-15 rue Cognacq-Jay (Paris 7ème)

RER: Pont de l’Alma (Ligne C)
Metro : Alma Marceau (Ligne 9)
Lieu notable : Ancien siège et studios de Fernsehsender Paris, RDF, RTF, ORTF, TF1, Antenne 2, FR3, TV5 Monde, RFO, CAP 24 et Cognacq-Jay image
La rue tire son nom d’Ernest Cognacq et de Marie-Louise Jay (voir ci dessous)

Il s’agit sans doute de l’adresse la plus connue de l’histoire de la télévision française et c’est donc à cette adresse que démarre notre balade. C’est ici que la télévision est devenue ce moyen de communication incontournable et qu’elle a pris l’ampleur qu’on lui connaît. Pendant près de 50 ans, ce lieu a été le centre de cette histoire passionnante. Beaucoup de téléspectateurs se souviennent sans doute du fameux « A vous les studios ! À vous Cognacq-Jay ! » qui ponctuait des retransmissions extérieures vers les studios et la régie finale situés dans cet immeuble.
Ernest Cognacq et Marie-Louise Jay ont donné bien logiquement leur nom à cette rue. Bien logiquement car le couple a façonné le récit de ce quartier. S’ils sont connus pour être le fondateur et les dirigeants du grand magasin parisien La Samaritaine (rue de Rivoli), c’est surtout pour l’ouverture de Magic City que le couple a légué à la postérité leurs patronymes à l’emplacement où nous nous trouvons actuellement.

En effet, c’est en 1911 qu’Ernest Cognacq fonde l’un des premiers parcs d’attraction en France, Magic City, situé entre le 67 et 91 quai d’Orsay.
De l’autre côté, 180 rue de l’Université, s’ouvrent en parallèle une salle de danse ainsi qu’un cinéma qui se retrouvent intégrés à Magic City. En 1926, le parc d’attraction disparaît pour laisser place à la construction d’immeubles et d’une nouvelle rue celle de Cognacq-Jay. Toutefois, rue de l’Université la salle de Magic-City continue son existence avec la salle de cinéma et un dancing. Tout est alors en place pour que s’écrive le chapitre le plus important de l’histoire de notre télévision.

Nous sommes en 1942, Paris est occupée. La télévision, déjà balbutiante, a cessé ses programmes depuis près de trois ans. La diffusion sur les ondes se fait par la radio notamment avec la tristement célèbre Radio Paris, outil de propagande au service de l’Allemagne nazie.

A cette époque, se trouve à Paris un officier en poste, Kurt Hinzmann. Ce personnage n’est pas un idéologue et souhaite trouver l’occasion de pouvoir continuer ce qu’il avait développé à Berlin : la télévision. Il sait qu’il faut mettre en avant les bons arguments afin de trouver à la fois le financement et l’autorisation d’émettre, la guerre n’étant pas un vain mot. L’idée avancée est de pouvoir offrir un programme de divertissement aux soldats allemands qui recouvrent leurs blessures dans les hôpitaux parisiens. En parallèle, cet argumentaire permet également de sauvegarder les émetteurs de la Tour Eiffel pour lesquels l’ordre fut donné de les démanteler.

Grâce à ses bons contacts, notamment Alfred Bofinger (en charge de la propagande et à la tête du réseau radio Paris), le feu vert est donné à Kurt Hinzmann pour la mise en place de cette télévision. Malgré le contexte, il n’est pas question pour lui de créer un médium au rabais. Le studio de la rue de Grenelle (lieu d’origine de la télévision française) n’était pas à la hauteur de ses ambitions et il devient donc nécessaire de trouver des locaux à la mesure d’un tel projet. Le premier impératif est que ce lieu soit non loin de la Tour Eiffel qui servirait d’émetteur pour la diffusion de ces programmes. Le second impératif est de pouvoir obtenir un espace conséquent permettant à la fois de produire de grandes émissions mais également de gérer l’aspect technique. Il existe un lieu pouvant répondre à ces critères : les anciens locaux du dancing de Magic City situés 180 rue de l’Université. Ce lieu est idéal pour la conception d’un véritable studio de télévision et la situation géographique favorise l’installation de câbles entre ce futur centre de la télévision avec la Tour Eiffel. Par ailleurs, le 180 de l’Université permet de relier un immeuble de 8 étages situés au 13-15 rue Cognacq-Jay occupé par une pension de famille. Celle-ci sera expropriée et l’ensemble acquis par la radiodiffusion nationale. Avec le studio, rue de l’Université, l’immeuble de la rue Cognacq-Jay intégrera les services administratifs de cette télévision baptisée « Fernsehsender Paris » (canal Paris). A la technique, on retrouve la Compagnie des compteurs avec la société allemande Telefunken. D’un point de vue technique, c’est ce qui expliquera la mise en place de la diffusion en 441 lignes.

C’est ainsi que le 7 mai 1943, Fernsehsender Paris ouvre son antenne. Quant aux émissions en direct, elles seront officiellement inaugurées au mois de septembre de la même année.
Cette télévision franco-allemande se distingue en misant sur les variétés et le divertissement. Elle émet près de 12 heures par jour, toutefois de nombreuses plages de diffusions se résument à une mire avec pour fond sonore Radio Berlin. Des témoignages de l’époque semble se détacher l’image d’un lieu cosmopolite tout à fait part au milieu d’un monde destructeur. Joane Langenegger, anarchiste et directeur général de cette télévision, est sans doute le meilleur exemple de ce qui se révèle être un refuge pour un certain nombre de personnes dans un contexte lourd de déportations et d’exterminations.

L’expérience s’arrête le 12 août 1944, une semaine avant la libération de Paris. L’équipe doit quitter les lieux et ordre est donné à Hinzmann de détruire les émetteurs de la Tour Eiffel. Une fois encore, il les sauvera en refusant d’exécuter cette demande.
Cognacq-Jay ne restera pas longtemps inerte et au mois d’octobre 1944, les tournages reprennent mais en circuit fermé, c’est-à-dire sans l’utilisation des émetteurs de la Tour Eiffel, la guerre n’étant pas encore terminée. Le lieu prend officiellement le nom de Centre Alfred Lelluch, un ingénieur de la radiodiffusion. Cet homme fut torturé et fusillé par la Gestapo en 1944 comme le rappelle la plaque située à l’entrée de l’immeuble (ndr au moment de la rédaction de cet article, aucune information quant au devenir de celle-ci). Définitivement Cognacq-Jay a ses fondations ancrées dans les tumultes de la seconde guerre mondiale.
La Radiodiffusion française (RDF) est ainsi créée. Elle détient le monopole de la diffusion et de la production des programmes radiophoniques et de télévision sur l’ensemble du territoire. Elle est placée directement sous l’autorité du ministre de l’Information. Cognacq-Jay reste le centre névralgique de la télévision et son importance ne cessera de croître au fur et à mesure des années.

Au studio principal, héritier de la Fernsehsender Paris, seront ajoutés deux autres studios (un au rez-de-chaussé et un autre au 3ème étage). L’ensemble de la production de la télévision se déroulera dans cet immeuble avant que les Buttes-Chaumont ne voient le jour en 1956. De nombreuses émissions auront été tournées dans ces lieux : information, émissions de variétés et pour la jeunesse  etc…. C’est ainsi que le 29 juin 1949, sous l’égide de Pierre Sabbagh, le premier journal télévisé voit ici le jour. Plus de 70 ans après, cette institution reste un rendez-vous incontournable des grandes chaînes de télévision.

Cognacq-Jay verra la naissance de la deuxième chaîne de télévision en décembre 1963 et de la troisième chaîne de télévision en décembre 1972 Les sigles changent (RDF puis RTF pour terminer sur l’ORTF) mais le monopole d’Etat reste. Si le siège de l’ORTF est situé à la Maison de la Radio, les services principaux de la télévision demeurent à Cognacq-Jay.

Le premier bouleversement majeur intervient le 1er janvier 1975 avec l’éclatement de l’ORTF. C’est ainsi que l’Office est démantelé en sept sociétés publiques indépendantes dont trois chaînes de télévision : TF1, Antenne 2 et FR3.
C’est d’ailleurs depuis le studio 3 de Cognacq-Jay que TF1 prend officiellement son envol le 6 janvier 1975 à travers son émission de lancement « Première » à 20h30. C’est à cette même date que l’ORTF prend fin visuellement sur les écrans de télévision.
Au Centre Alfred Lelluch une cohabitation se met en place entre les nouvelles chaînes de télévision d’une part ainsi que les entités en charge de la production, de la diffusion et de la gestion des contenus et archives audiovisuels d’autre part.
TF1 garde ainsi son siège rue Cognacq-Jay. Antenne 2 s’installe Rue de Monttesuy et FR3, avenue du Recteur-Poincaré. Néanmoins, les 3 chaînes continueront de conserver une grande partie de leur activité au sein de l’immeuble.

Ainsi la rédaction de TF1 se situe au sixième étage et garde un studio pour le journal télévisé au troisième étage (la chaîne reprendra ensuite le studio 1, grand studio d’origine du bâtiment). Antenne 2 a également son propre studio et sa régie au quatrième étage.
Quant à FR3, elle garde sa régie finale dans ces locaux.
L’INA propose un service d’archive actualités ce qui lui permet d’être au plus proche des rédactions pour le journal télévisé et les magazines d’information. De même avant le développement de la vidéo, la SFP proposait un service de développement de films situé au rez-de-chaussée du bâtiment. Enfin, TDF est également présente au sommet du site avec son centre nodal permettant la réception des émissions extérieures et la transmission des programmes audiovisuels vers l’émetteur principal c’est-à-dire la Tour Eiffel qui veille sur Cognacq-Jay.
Enfin, c’est du 180 rue de l’Université que partent les différentes équipes mobiles pour les reportages mais c’est également à cette adresse qu’arrivent la plupart des livraisons pour ce centre de la télévision.
Les années 80 vont avoir un impact conséquent sur la vie du Centre Alfred Lelluch avec l’arrivée de nouvelles chaînes mais également un tournant majeur pour la doyenne de la télévision.

Ainsi, d’une certaine manière, l’éclatement de l’ORTF continue à produire ses effets. FR3 n’était pas seulement en charge de la 3ème chaîne nationale mais également des stations de radios et de télévisions ultramarines. En 1982, FR3 se voir retirer la responsabilité des chaînes de radio et de télévision ultramarines qui sont confiées à une nouvelle entité RFO (dont les actionnaires sont FR3, l’Etat et Radio France). Son siège national se trouve à Cognacq-Jay pendant près de deux ans.
De même au début de l’année 1984, une nouvelle chaîne s’installe dans ce bâtiment TV5 qui deviendra par la suite TV5 Monde. Elle est le fruit de l’alliance de chaînes publiques francophones françaises, suisse, belge et canadienne. Cognacq-Jay reste donc le centre de la télévision française avec des chaînes qui dépassent le cadre métropolitain et national.
Toutefois en cette même année 1984, Antenne 2 prend définitivement son indépendance vis-à-vis de son ainée en déménageant de l’autre côté de la Seine au 22 avenue Montaigne.

En 1987, un évènement de taille dans l’histoire de la télévision : l’ainée des chaînes télévisées est privatisée. Les deux principaux candidats au rachat de TF1 sont Jean-Luc Lagardère avec le groupe Hachette et Francis Bouygues à la tête du groupe de construction du même nom. C’est ce dernier qui l’emportera. Comme un symbole le soir de sa désignation, par l’instance de régulation de l’audiovisuel la CNCL, Francis Bouygues se rend à Cognacq-Jay avec celui qui sera dans un premier temps le numéro 2 de TF1 Patrick Le Lay. Visite des locaux en compagnie de celui qui est encore président de la chaîne Hervé Bourges et interview au journal de 20 heures. Lors de sa candidature, Francis Bouygues l’avait annoncé TF1 devenue grande chaîne privée commerciale déménagera dans un nouveau siège. La pose de la première pierre aura lieu en 1988 et c’est officiellement le dimanche 31 mai 1992 qu’a lieu l’adieu à Cognacq-Jay à l’occasion du dernier journal de 20 heures de la chaîne présenté depuis ce lieu chargé d’histoire. Cette édition est l’opportunité de revenir sur les grandes dates de la télévision avec le témoignage des figures de ce médium (Léon Zitrone, Pierre Tchernia ou bien encore Georges de Caunes) , de montrer au téléspectateur les coulisses de ces locaux mais également de mettre en lumière l’avenir de TF1 à Boulogne-Billancourt dans un nouveau bâtiment flambant neuf répondant mieux aux exigences d’une grande chaîne commerciale. Pour cet au revoir, la journaliste Claire Chazal est entourée d’une grande partie des membres de la rédaction de TF1.  Une page importante se tourne au studio 1 de Cognacq-Jay, là où tout avait commencé près d’un demi-siècle auparavant.

L’histoire de la télévision continue à s’écrire avec TV5 qui devient ainsi la chaine phare de ce bâtiment. Comme un clin d’œil, la chaîne sort en 2002 une compilation musicale francophone intitulée « Rue Cognac-Jay » avant de déménager à son tour en 2006.
Par la suite, l’éphémère chaîne francilienne Cap 24 en fera son centre de production et de diffusion en 2008 avant de quitter le Centre Alfred Lelluch et de disparaître en 2010.
Le 13-15 rue Cognacq-Jay a continué jusqu’à ces dernières années d’œuvrer dans le domaine audiovisuel, TDF y a installé la société Cognacq-Jay image (indépendante de TDF depuis 2020) chargée de proposer des solutions dans le cadre de la diffusion de contenus audiovisuels. C’est ainsi que de nombreuses chaînes du câble et du satellite avaient leur régie de diffusion dans ces lieux (comme le rappelait la plaque à l’entrée de l’immeuble). Mais fin décembre 2020, la télévision a cette fois dit définitivement adieu à ses lieux. Les antennes et paraboles situées en haut de l’immeuble sont progressivement démontées. A l’entrée, les écrans de télévision laisseront place à une autre ambiance professionnelle qui sera sans doute bien loin de l’aventure du petit écran. Au moment de la rédaction de cet article, l’ancien centre Alfred Lelluch est en pleine rénovation et nombre des photos illustrant cet article appartiennent sans doute déjà au passé.

Au même titre que les Buttes-Chaumont, Cognacq-Jay aurait sans doute dû continuer la grande aventure commencée en 1943. Nul doute, toutefois, qu’en passant devant l’immeuble les souvenirs resteront bien vivaces pendant encore longtemps.

Photos©Balades télévisuelles

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