
Métros : Buttes Chaumont (Ligne 7bis), Botzaris (Ligne 7bis)
Lieu notable : Anciens studios des Buttes-Chaumont
Cette voie piétonne, créée à la fin des années 90, est un hommage au lieu qui fut le premier grand studio mondial de l’histoire du cinéma
Dans cette zone piétonne, entourée d’habitations, difficile d’imaginer la vitalité médiatique qui régnait alors il y a quelques décennies.
Pourtant c’est bien ici que la télévision française a connu son âge d’or. Les plus grandes références des dramatiques et des émissions de variétés ont été tournées dans ces lieux dont le nom de la voirie peut encore évoquer ce passé culturel et artistique. Les Buttes-Chaumont, un nom qui pour la télévision raisonne comme une période flamboyante d’inventivité et de grandiose.

Bien avant la télévision, c’est le cinéma qui avait marqué ce quartier plus particulièrement la société Gaumont. Dix ans après la création de société, Léon Gaumont ouvre ses studios avec la cité Elgé (du nom de ses initiales) en 1905. L’immeuble du 35-37 rue du plateau se trouvant de l’autre côté de la rue des Alouettes porte encore le signe distinctif de la société Gaumont et témoigne donc de ce passé cinématographique.
Ces studios seront au début du XXème siècle les plus grands studios cinématographiques que le monde ait pu connaître. C’est en 1934 que ce premier âge d’or des Buttes-Chaumont se clôture avec le dépôt de bilan de la société Gaumont (elle renaîtra quelques années plus tard).
Les studios passent alors sous le giron de la société Radio-Cinéma et continueront à produire des films notamment durant la période de l’occupation.

Le second âge d’or de ce lieu se fera par le biais de la télévision. Nous sommes alors au début des années 50. La radio reste le médium le plus important pour toucher la population, toutefois la télévision commence à connaître une notoriété publique depuis son quartier général situé rue Cognacq-Jay. Dans cette perspective, les locaux du centre Alfred Lelluch ne suffisent plus aux ambitions du petit écran plus particulièrement en ce qui concerne le divertissement.
La RTF fera alors l’acquisition de cet immense ensemble situé entre les 34-36 rue des Alouettes et le 10 rue Carducci qui sera d’ailleurs l’entrée principale de cette gigantesque structure. En 1953, avant même que la télévision n’investisse véritablement les lieux, un incendie détruit en partie ce qui restait des anciens studios Gaumont. Cet événement favorisa la construction de studios spécifiques aux besoins du petit écran. Entre 1953 et 1956, par différentes phases, les quatre studios des Buttes-Chaumont prennent forment pour une surface d’environ 1000 m2. C’est d’ailleurs en 1956 que ces studios sont officiellement baptisés Centre René Barthélémy , pionnier de la télévision française et disparu deux ans plus tôt.

Les Buttes, ce sont avant tout des séries et des dramatiques en direct qui marqueront l’histoire de la télévision. En effet, l’enregistrement n’existe pas encore et la plupart de ces œuvres sont diffusées en direct. Cette spécificité des conditions de tournage propres au petit écran donnera son nom à « école des Buttes-Chaumont » donnée par Jean d’Arcy, le directeur de la télévision durant la décennie des années 50. C’est ici que Raymond Souplex donne rendez-vous aux téléspectateurs, à la fin des années 50, pour la première série interactive Les cinq dernières minutes. Ainsi, il est proposé au public de participer à l’enquête policière portée à l’écran.
C’est également dans ces studios que naît la Caméra explore le temps de Stellio Lorenzi, André Castelot et Alain Decaux qui immerge l’audience dans un événement historique.
On ne saurait oublier l’un des grands réalisateurs de ces lieux Jean-Christophe Averty qui est à l’origine de l’une des premières émissions satiriques de la télévision : Les raisins verts. On lui doit également les premiers trucages vidéo avec notamment le fameux téléfilm Ubu Roi d’après l’œuvre d’Alfred Jarry.
Aux côtés de ces studios, c’est tout un écosystème de production télévisuelle qui prend assise avec des ateliers de décors et de costumes. Une véritable usine ayant à cœur de divertir le public tout en assumant son rôle de service public. L’ensemble de ces artistes souhaitent proposer à la télévision des programmes de qualité qui mettaient visuellement en avant les possibilités offertes par un tel lieu, une sorte d’Hollywood de la télévision.

Avec le temps, les studios des Buttes-Chaumont s’agrandiront et assoiront leur place au sein de la télévision française. Une tour relais hertzien d’une hauteur de 85 mètres est mise en place en 1961 permettant la liaison entre Paris et les régions. C’est cette tour qui donnera sa visibilité aux studios dans le paysage urbain.
D’autres studios (studios 15, 16 et 17) viendront prendre place à la fin des années 60 inscrivant les Buttes dans le domaine des émissions de variété en particulier les fameux rendez-vous de Maritie et Gilbert Carpentier. De grands spectacles avec des décors conséquents où les artistes reçoivent les téléspectateurs dans des compositions inédites entourées de leurs amis chanteurs et comédiens. Des années 60 aux années 80, de l’ORTF à Antenne 2 ou TF1, les Sacha Show, Top à ou bien encore Numéro un resteront comme des miroirs étincelants de cette période insouciante de la télévision française.
C’est dans l’un de ces studios que le journaliste Jacques Chancel proposera une émission référence du service public Le Grand Echiquier qui durera près de 20 dans sa formule initiale traversant les décennies 70 et 80. Imaginez un orchestre symphonique qui accompagne une émission de variété et de cultures où se croisent les personnalités de la chanson, de la musique, de la politique…le tout en direct pendant près de 3 heures sans se soucier d’un quelconque marketing de promotion. Pour se faire une idée plus précise, il suffit de revoir cette séquence où Georges Brassens accompagné des Compagnons de la Chanson au chant, de Raymond Devos à la clarinette et de l’orchestre du Grand Echiquier interprète son fameux les copains d’abord. Le tout avec le regard complice de Lino Ventura.
Au-delà des paillettes bienheureuses des Buttes-Chaumont, des dramatiques continuent à être produites en ces lieux comme les fameux Rois maudits de Claude Barma adapté, sobrement mais efficacement, du roman historique de Maurice Druon durant l’hiver 1972-1973.
La télévision n’a donc plus à rougir du cinéma. En 1975, l’ORTF disparait au profit de 7 nouvelles sociétés parmi lesquelles la SFP qui reprend les activités de production de l’établissement public, le Centre René Barthélémy devenant le vaisseau amiral de la toute nouvelle société…du moins pour un t-emps. En effet, en 1978 la SFP rejoint l’INA à Bry-sur-Marne avec la construction de nouveaux studios qui ne connaîtront malheureusement pas la même notoriété que les Buttes-Chaumont.
Une suite d’événements feront progressivement sombrer le Centre Réne Barthélémy. Ainsi en 1979, est mis fin au régime de commandes préférentielles des chaînes publiques de télévision ce qui a pour conséquence une perte sur le chiffre d’affaires de la société. En 1986, année du lancement de la privatisation de TF1 mais également de l’arrivée des deux premières chaînes françaises privées et gratuites, la loi relative à la liberté de communication prive la SFP de l’accès à la redevance audiovisuelle.
Néanmoins, durant la décennie 80, les Buttes-Chaumont continuent de fournir à la télévision française des rendez-vous qui marqueront cette période tels qu’Avis de Recherche, Tournez manège ou bien encore Cocoricoboy. Les premières saisons de Sacrée Soirée seront également tournées depuis ce grand centre de la télévision ainsi que la plupart des sessions dominicales d’aérobic de Véronique et Davina à travers l’émission Gym Tonic. C’est également depuis le studio 16 que Christophe Dechavanne fait ses premiers pas sur TF1 privatisée via Panique sur le 16 mais surtout très vite avec Ciel mon mardi.

Les années 90 scelleront malgré tout définitivement le sort de ce lieu. La situation économique de la SFP pousse la société à se recentrer dans son quartier général à Bry-sur-Marne et à vendre le Centre René Barthélémy. En parallèle, la Plaine Saint Denis est confirmé comme étant le nouveau centre de production télévisuelle. Au moment de la vente de l’immeuble du Centre René Barthélémy, des voix s’élèvent, à l’image du journaliste Jacques Chancel, pour que les Buttes-Chaumont restent un lieu de production ou tout du moins de mémoire de la télévision. Mais en 1996 l’ensemble est détruit et sur ce champ de ruines un tout nouveau visage est donné à ce quartier avec de nouveaux logements et des commerces pour un Paris plus vivant et moderne.

Hormis le Bar fleuri – qui existait déjà (sous une autre dénomination) du temps du Centre René Barthélémy – , il ne reste plus rien, aucune mention de cette période incroyable de la télévision française si ce n’est d’heureux moments télévisuels. En repartant, de cette adresse, revient dans ces souvenirs la douce voix de Dalida qui chantait pour le dernier Numéro Un tourné dans ces studios : « Bye bye ce n’est pas un adieu, bye bye c’est un mot merveilleux, qu’on dit quand on se quitte en chantant, qu’on se reverra dans pas longtemps. ».
Photos©Balades télévisuelles